Jean Amila

Jean Amila
Jean Amila

1917, les mutins sont fusillés pour l’exemple. Ils sont aussi abattus froidement pour motiver les troupes en pleine dépression généralisée. La méthode était de faire comprendre que si l’ennemi ne tuait pas les soldats, dans les rangs amis, rien n’empêchait de le faire. Cette méthode qui a certes fait ses preuves n’en a pas moins envoyé quelques milliers de soldats vers une mort terrible. Les combattants avaient ainsi, disait-on, la rage au ventre pour aller faire face aux bataillons armés d’en face.

Les femmes et fils de mutins ne le voyaient pas sous cet angle. La mort prématurée et injustifiée de leur mari n’a fait que les pousser un peu plus sur la brèche. Sans cesse humiliés, battus, insultés, les entourages de mutins sont comme marqués au fer rouge. Il est impossible de lutter contre des hordes de défenseurs de l’héroïsme de l’après-guerre. C’est dans cette situation de haine et d’injustice continuelle que vivent Mme Lhozier et son jeune fils, Michel, dit Michou. Ils vivent dans un arrondissement pour la classe moyenne, dans un petit appartement cossu. Certes, le confort n’y est pas exceptionnel mais il s’agit là du dernier endroit où subsistent les traces du soldat Lhozier. Il est mort aux Hurlus, près de la Marne, dans des terrains vagues investis par la mort, jonchés de cadavres. Des champs de bataille désertés où traînent quelques jeunes soldats épargnés par la guerre, insouciants. Leur mission est simple quoique rebutante. Ils doivent nettoyer les xxx hectares de boue et de membres humains laissés par les affrontements, reprérer les mines et rendre un peu d’orgueil à des terres souillées et condamnées.

Le jeune Lhozier vit presque paisiblement avec sa mère mais la situation dégénère rapidement. Le voisinage s’en prend sans arrêt à la mère tout en plaignant le jeune enfant. Mme Lhozier en a assez de ces humiliations. Elle ne veut plus se laisser marcher sur les pieds, se laisser bafouer sans pouvoir réagir. Et elle va commettre l’irréparable. Un bien maigre forfait pourtant… Et voilà Lhozier, le Môme, enfermé dans un Orphelinat bondé de fils de mutin. Il y a de tout dans cette communauté indigente. La première chose à laquelle est confrontée Lhozier, dans cet environnement de Grippe Espagnole qui fait des ravages parmi les bons citoyens de France, c’est la tonte et l’application dégoûtante d’une lotion sur les cheveux. Une lotion qui les marque une nouvelle fois puisque le teint jaune ne pars pas.

Le Môme est protégé par Devâmes, un grand de l’Orphelinat. Peu à peu, Lhozier entre dans le cercle des amis de Devâmes et les pousse petit à petit à les emporter dans sa soif de vengeance. Il veut découvrir qui a tué son père. Il veut tuer froidement, du haut de ces 8 ans, le général qui a ainsi pu provoquer l’enfermement de sa mère dans un asile psychiatrique, la mort de son père et l’anéantissement de son quotidien. « Dans le couloir, le Môme avait questionné l’infirmière. C’est quel genre de maison de repos, où est ma mère? J’ignore, mon petit. Une prison, s’pas? Mais elle a dit la vérité. C’est vrai qu’on a assassiné mon père. Et les gros ploucs foireux qui lui ont tiré dessus, on ne les retrouvera pas. Mais le chef qui a commandé ça, on le connaît. Et moi j’attends d’être plus grand, mais je l’aurai! Veux-tu bien te taire, mon gamin! Je sais son nom. Et même qu’il habite à Neuilly, pas loin d’ici. Tais-toi! Maman voulait lui faire son affaire, mais…

Ca suffit, mon petit bonhomme! Tu ne rends vraiment pas service à ta maman, essaie de comprendre. Ne parle jamais de ça à personne! Mais le petit gars continuait, crispé, concentré. Des fois, je fais des dessins avec un grand mec plein d’étoiles, et moi je le pointe avec un pétard…Veux-tu te taire! que c’est tellement lourd que je le tiens à deux mains.  Assez! Paraît que c’est une belle villa au fond d’un jardin. Avec une guérite à la porte, parce que ce sale Boucher, il a la trouille! La bonne Mme Panier s’était penchée, avait embrassé la petite puce, en vraie maman. Tais-toi, mon gamin. Sais-tu où est tombé mon homme? La balle en plein coeur et la baïonnette au canon, je ne sais pas. Mais il est tombé aux Hurlus. Tu vois ce que je veux dire? Oui, M’dame.

— Au moins cent quarante mille hommes qui sont morts pour rien, dans la boue. Mais les généraux sont faits pour mourir dans leur lit. On est trop petits, on n’y peut rien. Alors, fais donc comme la maman Panier, mon gamin: le poing dans la poche! » Ce roman est un des plus beaux qu’il m’ait été donné de lire. Le texte est riche. Les rebondissements nombreux et les personnages, surtout le Môme sont incroyablement attachants. A tel point qu’on se retrouve à vouloir le voir mort ce général. C’est selon moi, le chef d’oeuvre de Jean Amila, le grand initiateur, avec Francis Rick, du polar dénonciateur et ancré socialement et historiquement. Et ce, quoiqu’on en dise, bien avant Manchette. Juste un chef d’oeuvre à lire absolument.

 

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