
Chandler est ce que l’on pourrait appeler un auteur incontestable, parce qu’il ne peut être oublié sur une bibliographie sur le polar, parce qu’il a inspiré des réalisateurs célèbres du film noir et parce qu’il existe autour de ses romans des intrigues plus savantes que celles développées dans ceux-ci : le mystère autour du film de Howard Hawks, avec Humphrey Bogart dans le rôle de Marlowe en est la plus belle illustration. Pour la petite histoire, sachez qu’un grand doute gravitait autour de l’auteur d’un crime dans le roman. Malgré les recherches les plus acharnées, aucun des scénaristes ne sut répondre à cette question gênante. Hawks a donc pensé qu’il fallait simplement demander à Chandler de le leur dire, mais bien entendu, et c’est là que toute l’anecdote prend son sens, il ne le savait pas lui-même.
Toujours est-il que le célèbre détective se retrouve encore impliqué dans une affaire comme il n’en arrive qu’à lui. Deux sœurs hors normes, un vieux général en chaise roulante qui s’est amouraché, tout ceci reste éthéré bien sûr, d’un pseudo beau-fils… Bref une de ces bizarreries comme seul Chandler sait les créer. Le vieux général Sternwood, à demi paralysé, est affligé de deux filles, Vivian et Carmen, qui sont absolument dépourvues de sens moral et se livrent à leurs vices sans modération. Vivian se saoule et joue à la roulette. Carmen se drogue et a des crises d’épilepsie et d’érotomanie. Des gangsters chevronnés s’en mêlent aussi, mais le sympathique Marlowe, si tant est qu’on puisse le qualifier ainsi, déboule et fonce dans le tas. Il s’apprête à remettre un peu d’ordre dans cette maison de fous. Il était temps. Bon, sincère ? Allez, soyons sincères. Le plus difficile chez Chandler, ce sont ces magnifiques mais trop longues et drues descriptions de l’environnement. La moindre feuille blanche planquée au fond d’un tiroir est susceptible de prendre part à l’intrigue. Si ce n’était pour perturber le lecteur, ces descriptions n’auraient pas grand intérêt. Poudre aux yeux et double mécanique d’intrigue bien construite, ce roman vaut pour son personnage principal, haut en couleurs et démesuré. Il faut noter qu’il a été primé du prix Edgar Poe par les Mystery Writers of America qui ne sont quand même pas les premiers venus. Ressources sur la ville de Philip Marlowe et de Raymond Chandler – un petit click (En Américain)
Né en 1920, Ray Bradbury s’impose à la fin des années 40 comme un écrivains majeurs, avec la parution d’une série de nouvelles oniriques et mélancoliques, plus tard réunies sous le titre de Chroniques Martiennes. Publié en 1953, Fahrenheit 451, qui finit d’asseoir la réputation mondiale de l’auteur sera porté à l’écran par François Truffaut. » Le titre du roman fait allusion à la température de combustion complète du papier. Nombre ô combien important dans le roman de l’auteur américain. Fin prochaine du deuxième millénaire… les livres sont diabolisés, détruits parce que le gouvernement les considèrent comme dangereux, illusoires et subversifs.
Les brigades de pompiers ont pour fonction l’anéantissement total de toutes les œuvres écrites, quelque soit leur contenu. Seuls le verbe et les règles de conditionnement imposées par le gouvernement sont légalisés. Seuls le devoir de divertissement et d’euphorie avilissante sont autorisées. On assiste parfois à des scènes totalement décalées où la femme de Montag, le « héros », se rend à des fêtes dont le cadre et les convives ne sont que des images portées sur des écrans génats. Ces dites-fêtes, scénarisées, réellement intéractives, représentent la majeure partie du planning de la vie des gens. Les femmes sont toutes chargées de se perdre dans ce rêve manipulatoire. Le terrestre et le réel sont niés. L’enfantement est autorisé mais la définition biologiquement animale du procédé est rejeté par une grande partie des couples.
Il n’y a ni implications politiques ; dans le sens le plus noble du terme, c’est-à-dire dégagé d’un jugement porté sur le chrisme et les fioritures de campagne ; ni volonté révolutionnaire, donc pas d’opposants, ni d’ennemis potentiels. Il y a une guerre mondiale, complètement ignorée par les médias, sans cesse reportée, faute de colère assez exacerbée. Un jour, Montag rencontre une jeune fille presque fantomatique. Il est interloqué par ce qu’elle lui raconte. Elle est contemplative, elle pose des questions dont Montag ne pouvait pas même soupçonner l’existence. Elle évoque le subversif dans un premier temps mais au fur et à mesure de leurs promenades nocturnes, Montag se met à réfléchir, à douter de son existence, à comprendre que le modèle de vie qu’il connaît et que le monde lui a enseigné est exactement le même pour tout le monde.
Le modèle de l’Utopie décrit par Bradbury ressemble évidemment à une dictature, comme celui de Aldous Huxley « in Brave New World, « le meilleur des Mondes Montag va assister à une scène qui va le marquer et lui faire prendre conscience de l’enjeu que représente vraiment la disparitions des livres pour le gouvernement. Son mode se démembre. Il n’y voit plus que du négatif, qu’une hallucination où tous les membres de cette société si parfaite sont enfermés.
Le roman de Bradbury est merveilleusement écrit. D’une qualité à rendre jaloux. Lyrique, beau et crû en même temps. Le film de Truffaut est tout aussi poignant. J’en ferais une critique d’ici peu. « Le plaisir d’incendier ! Quel plaisir extraordinaire c’était de voir les choses se faire dévorer, de les voir noircir et se transformer. Les poings serrés sur l’embout de cuivre, armé de ce python géant qui crachait du venin de pétrole sur le monde, il sentait le sang battre à ses tempes, et ses mains devenaient celles d’un prodigieux chef d’orchestre dirigeant toutes les symphonies en feu majeur pour abattre les guenilles et les ruines carbonisées de l’Histoire.
Son casque symbolique numéroté 451 sur sa tête massive, une flamme orange dans les yeux à la pensée de ce qui allait se produire, il actionna l’igniteur d’une chiquenaude et la maison décolla dans un feu vorace qui embrasa le ciel du soir de rouge, de jaune et de noir. Comme à la parade, il avança dans une nuée de lucioles. Il aurait surtout voulu, conformément à la vieille plaisanterie, plonger dans le brasier une boule de guimauve piquée au bout d’un bâton, tandis que les livres, comme autant de pigeons battant des ailes, mouraient sur le seuil et la pelouse de la maison. Tandis que les livres s’envolaient en tourbillons d’étincelles avant d’être emportés par un vent noir de suie. »